Cinq ans après le lancement du festival Amani, cet évènement culturel qui réunit des milliers de mélomanes et des dizaines d’artistes prend de l’ampleur dans la sous-région des Grands Lacs africains. En 2018, Amani (paix en swahili) a été placé sous un thème pour le moins curieux : l’entrepreneuriat des jeunes. Eric de Lamotte, promoteur de ce festival, parle de cette évolution du chant et de la danse vers l’entrepreneuriat. Et revient sur les cinq ans du festival. Interview
Musique.cd : Qu’apporte le Festival Amani à la région cinq ans après son lancement?
Eric de Lamotte : Je pense que le Festival Amani a d’abord apporté beaucoup d’espoir dans une région qui en méritait, où la jeunesse dynamique n’attend pas mieux que de voir les choses évoluer positivement. La culture (le chant et la danse) a été le moyen que nous avons utilisé pour rassembler les gens et montrer que la région méritait mieux que ce qu’elle avait. Et que, ce n’est pas seulement une région marquée par les conflits armés mais celle où les habitants veulent évoluer. Au niveau culturel, je pense que le grand avantage que nous avons est que le Festival Amani est le seul à être pérenne dans la ville puisque nous sommes déjà à sa cinquième édition. Beaucoup de gens sont surpris de voir le festival continuer d’exister et nous félicitent pour cela.
Combien d’entrepreneurs locaux sont directement touchés par le Festival Amani ?
Eric de Lamotte : Les deux premières années, le Festival Amani était plutôt focalisé sur la culture, c’est-à-dire, le chant et la danse. On a depuis le début invité les associations et organisations internationales pour promouvoir les messages de paix. En 2016, nous avons constaté que ce n’était pas suffisant et que la paix ne va pas arriver uniquement en chantant et qu’il n’y a pas de paix sans travail. Pour essayer de promouvoir la création d’emploi au regard du dynamisme des jeunes entrepreneurs mais qui ne disposent pas toujours du financement nécessaire, on a décidé de lier la culture à l’entrepreneuriat pour promouvoir la paix. Nous avons inauguré le premier incubateur qui s’appelle Kivu Entrepreneurs, une initiative d’un entrepreneur local, Joël Tembo. C’est un type extraordinaire qui bénéficie de l’assistance d’une cinquantaine d’Asbl qui viennent souvent ici et qui l’ont aidé financièrement et coaché pour pouvoir créer cet incubateur. La cérémonie a connu la présence de l’honorable Mutiri, de Francine Muyumba (Présidente de la jeunesse africaine) et d’autres notables dont le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). La présence de ces personnalités est très importante pour aider à la création des entreprises.
Est-ce que vous bénéficiez de l’appui des festivals qui existent déjà ailleurs ?
Eric de Lamotte : Il y a une dizaine de personnes du Festival Esperanza, un festival partenaire, qui ont la même vision que nous. Ce sont des personnes qui ne cherchent pas l’argent et qui travaillent de manière bénévole pour promouvoir la culture et d’autres valeurs environnementales et sociales. C’est notre festival partenaire en Europe qui nous vient en aide avec des conseils. Vous savez que j’ai une équipe très jeune en âge et en expérience. Il y a plein de gens qui sont venus de la Belgique, de la France et d’ailleurs pour nous aider et nous soutenir à la réalisation de cet événement.
Vous avez organisé la cinquième édition du Festival Amani au moment où la RDC traverse une période de tensions politiques. Que comptez-vous faire pour participer aux efforts d’apaisement des esprits ?
Eric de Lamotte : Je suis belge et aujourd’hui les tensions entre la Belgique et le Congo se sont exacerbées. J’ai appris que ça se calmait un peu, ce que j’espère pour l’intérêt de deux nations. Le festival est un événement qui s’est toujours voulu apolitique, areligieux pour rassembler des personnes d’horizons différents, d’ethnies différentes, de religions différentes et de différentes nationalités. Je serai très franc en vous disant que ce n’est pas un festival à faciliter les élections ou quoi que ce soit. Il est vrai que tout le monde vient au festival, les gens de différents partis, des mouvements citoyens. Heureusement tout le monde sait faire la fête en se parlant. C’est peut être ça le plus important.
Quel bilan dressez-vous des cinq ans d’existence du Festival Amani ?
Eric de Lamotte : Cinq ans, ça veut dire à cinq reprises, plus 150.000 personnes sont venues du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda, de la Tanzanie et d’ailleurs pour assister au festival. Ils viennent pour fêter ensemble. Je pense qu’aujourd’hui l’image du festival est d’abord celle du rassemblement qui va bien au-delà de la région du Kivu. Le Festival Amani est connu sur le plan international comme étant le grand festival de l’Afrique centrale qui promeut les valeurs importantes comme le vivre ensemble, l’environnement et l’entrepreneuriat. Le premier jour du festival, on a vendu plus de 12.000 billets et l’espace qui a accueilli le concert était complètement plein. Ceci montre que non seulement il y a des grands noms de la musique qui nous font confiance, mais aussi que tout le monde attend ce festival et y vient toujours avec plaisir. Ces gens viennent peut être voir aussi ceux qui s’engagent, les artistes comme les bénévoles. Ces gens qui donnent de leur temps pendant plusieurs semaines et y croient. Ils sont tous motivés à fond pour faire de cet événement un grand plaisir.
Peut-on imaginer Amani dans une autre province ou une autre ville de l’Est ?
Eric de Lamotte : Tout cela est fonction du budget et de l’organisation. Un festival comme celui-ci coûte plus de 300.000 $. Les billets d’entrée sont vendus à 1$. On a donc dû recourir à des organisations non gouvernementales et aux sponsors. Les recettes que nous avons de la vente des billets ne couvrent même pas les 10 % du budget nécessaire pour organiser cet énorme événement. Vous avez vu le podium, le matériel très professionnel, les artistes qui viennent de France, de Kinshasa, de l’Ouganda. Tout cela coûte énormément cher. Donc aujourd’hui, l’équipe que nous sommes, des bénévoles, n’est sans doute pas suffisant pour envisager d’aller faire des festivals partout où il serait nécessaire. Ce n’est pas envisagé sauf si demain un sponsor acceptait de financer ce genre de développement du festival.